Offrir des fleurs, c’est déjà dire quelque chose. Pas besoin d’un dictionnaire pour faire passer un message. Pourtant, depuis le XVIIIème siècle, on nous propose d’en décoder chaque pétale. Une rose rouge pour l’amour passionné, une pivoine pour la timidité, une marguerite pour l’innocence…
Mais d’où vient ce langage fleuri ? Est-il universel ? Et surtout, a-t-il encore lieu d'être aujourd'hui ?
Le “langage des fleurs” tel qu’on le connaît aujourd’hui n’a rien d’un héritage millénaire. Il serait né en grande partie à l’époque romantique, en Occident, notamment sous l’influence de la mode dite « orientale » du XVIIIème siècle. On découvre alors les selams, sortes de petits bouquets venus des sérails ottomans. Chaque fleur y porte un message, mais pas seulement : leur couleur, leur nombre et également leur disposition dans la composition ont leur importance.
Cette idée séduit les salons anglais, puis parisiens et atteint finalement son apogée durant l'ère victorienne. Le premier véritable “dictionnaire des fleurs” en français est publié en 1819 : Le langage des fleurs de Charlotte de Latour (un pseudonyme). L’ouvrage est un succès. Il en suivra des dizaines d’autres.
Mais, c'est là que les complications commencent : d’un dictionnaire à l’autre, les significations changent. Le lilas blanc symbolise tantôt la jeunesse, tantôt le souvenir. La tulipe rouge peut vouloir dire “déclaration d’amour” dans un livre, et “orgueil” dans un autre.
Bref, ce langage est tout sauf fixe. Il est mouvant, subjectif, et très ancré dans son époque.
Aujourd’hui, les professionnels de la fleur (et les marketeurs) ont bien compris le potentiel de ce langage. Il permet de raconter une histoire. De vendre du “sens”, pas seulement un bouquet. Qui n’a jamais vu, en période de Saint-Valentin, une étiquette expliquant que la rose rouge dit "je t’aime” ?
C’est pratique. C’est séduisant. Et ça fonctionne. Mais cela a aussi un revers. En réduisant les fleurs à une seule émotion, on en oublie leur complexité. Leur saisonnalité, leur odeur, leur port, leur histoire botanique…, tout cela disparaît derrière un message préfabriqué. On finit par croire qu’offrir des pivoines en janvier est une preuve d’amour… alors que c’est surtout une absurdité écologique.
Mais, si en plus d’être déconnecté des saisons, ce langage floral était aussi le reflet d’une vision occidentale genrée, voire stéréotypée ?
Dans les livres anciens comme dans certains contenus plus récents, les fleurs sont souvent associées à des qualités dites “féminines” : pudeur, fidélité, douceur, maternité… Les messages tournent presque toujours autour de l’amour, du mariage ou de la trahison. Un univers codé, élaboré selon un ordre socio-culturel conventionnel, où l’émotion semble devoir suivre des règles fixes.
Et, dans cette lecture très codifiée, la fleur devient presque exclusivement l’affaire des femmes.
On l’offre pour séduire, consoler, féliciter… mais rarement à l'attention des hommes.
Ce déséquilibre, profondément ancré, façonne encore nos gestes. Et pourtant, il ne va pas de soi. Dans d’autres cultures, offrir une fleur à un homme est tout à fait courant. Le geste est simple, naturel. Il exprime une émotion, sans connotation de genre. Une manière de dire l’estime, la joie, le respect – tout en finesse, sans surinterprétation.
Offrir des fleurs, ce n’est pas traduire un dictionnaire. C’est un geste, un lien, une attention. Peut-être avez-vous choisi ce bouquet parce que les couleurs vous parlent. Parce qu’il vous rappele un jardin, une personne, une saison. Ou simplement parce qu’il est beau.
Et c’est ça, le vrai message.
Plutôt que de chercher à décrypter des codes vieux de plusieurs siècles, pourquoi ne pas écouter vos propres émotions ? Les fleurs ont leur propre langage, oui. Mais il passe par les sens : les yeux, le nez, les mains. Il n’a pas besoin de mots-clés pour exister.
Cela dit, le langage des fleurs reste un objet culturel fascinant. Pas pour l’appliquer à la lettre, mais pour comprendre comment une société parle d’amour, de pudeur ou de trahison à travers la nature.
Si le sujet vous intrigue, voici quelques ouvrages anciens à feuilleter librement en ligne sur gallica.bnf.fr :
Charlotte de Latour – Le langage des fleurs (1819)
Hippolyte Hostein - Flore des dames (1840)
Emma Faucon - Nouveau langage des fleurs (1869)
Almanachs du langage des fleurs (1870, 1877, 1880, 1883)
Ces livres permettent aussi de prendre du recul. De voir comment les significations évoluent, se contredisent, se répètent parfois. Et de comprendre que ce fameux langage n’est pas une science exacte, mais plutôt une construction culturelle.
Pour moi, le langage des fleurs est un peu comme l’horoscope : joli, distrayant, mais à ne pas prendre au pied de la lettre. Il peut servir d’inspiration, de point de départ, de prétexte poétique. Mais il ne doit pas remplacer le lien réel que vous avez avec la personne à qui vous offrez des fleurs – ni le plaisir simple de choisir un bouquet qui vous touche, sans raison précise.
Offrir une fleur, ce n’est pas réciter un code. C’est dire, en silence : “J’ai pensé à toi.”
Et ça, c’est déjà beaucoup.
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